Prisonniers allemands 1916-1918 à Fougères

Un destin fougerais provoqué par la guerre.

Augustin, Joseph, Marie, Louis Beauverger, quitte le front et est mis à la disposition du 10éme Corps d’Armée, Région militaire de Rennes en 1916.  Il sera promu médecin aide-major de 1ère classe de l’armée territoriale en 1917[1]. C’est à ce titre qu’il intervient auprès des prisonniers de guerre allemands dans la région de Fougères.

 
 

Une économie de guerre.

La France mobilise presque  63 % de sa population masculine active et la désorganisation de l’économie est de plus en plus importante. Le manque de main-d’œuvre est criant dans plusieurs secteurs économiques. Pour y pallier le gouvernement prend des mesures pour maintenir à l’arrière les hommes indispensables au maintien de l’activité notamment dans l’agriculture, l’industrie, les activités d’extraction et minières. Il faut aussi assurer les conditions matérielles de la victoire. La décision est prise de renvoyer vers l’arrière les hommes absolument indispensables dans les emplois techniques, les pères de familles nombreuses et les classes les plus anciennes[2]. Rapidement, il faudra aussi faire appel à des renforts de main-d’œuvre, femmes, étrangers ou hommes des colonies, jeunes Français mobilisés mais aussi prisonniers de guerre[3].

Les prisonniers de guerre dans la région de Fougères :

des officiers favorisés.

Selon la Convention de La Haye[4], les prisonniers de guerre doivent être traités avec humanité, l’État peut les employer comme travailleurs selon leur grade et leurs aptitudes, à l’exception des officiers.

A Fougères, 129 officiers sont internés à l’intérieur du château avec 12 soldats ordonnances. Leurs conditions de vie n’ont rien à voir avec celles des sous-officiers et hommes de troupe. D’ailleurs ces officiers, contrairement aux prisonniers ordinaires n’ont pas fait l’objet de rapports réguliers des médecins militaires français mais ils ont été visités par le Comité de la Croix-Rouge. Selon ce comité, ils ont un cadre de vie médiocre, « comme logements, salles nues, mal éclairées, d’un château à la Vauban, W.C. laissant à désirer, …comme couchage des grabats, avec un matelas, les couchettes se touchent toutes…» les autres conditions ont des appréciations plus nuancées[5].

Dans le rapport de sa visite à Fougères, le délégué des États-Unis présente une toute autre vision des choses, il écrit : « l’intérieur du château est vaste et comprend d’agréables jardins en terrasses, garnis de beaux arbres et de fleurs que les prisonniers cultivent pour se distraire. Il y a des agrès de gymnastique et un petit espace plat réservé pour les jeux. Les officiers peuvent sortir de 6 h du matin à 8h30 du soir ».[6]

Des prisonniers utilisés comme main-d’œuvre.

Les autres prisonniers de guerre allemands, sous-officiers et hommes du rang, sont nombreux dès juillet 1915 sur le territoire du Pays de Fougères. Ils sont  répartis selon les besoins, 14 à la Verrerie à Laignelet ; 20 aux Renardières à Landéan chez de Pontavice ; 114 à la mine de Montbelleux à Luitré, surtout des anciens employés à l’extraction des mines de charbon et métalliques en Allemagne ; 17 au Moulin d’Avion à Parigné qui seront ensuite redirigés vers Dinan ; 30 à Saint-Jean-sur-Couesnon ; 25 à l’étang de la Forêt à Bazouges ; d’autres à Saint François, à Saint-Germain-en-Cogles, à Saint-Georges-de-Reimtembault, à Lécousse mais aussi 121 dans les carrières de Châtillon-en-Vendelais[7]. Ces chiffres évoluent évidemment en fonction des besoins surtout ceux des prisonniers qui travaillent dans les fermes.

Des prisonniers de guerre bien suivis.

Le Comité international de la Croix-Rouge fait régulièrement des visites sur le terrain aux camps de prisonniers en Angleterre, en France et en Allemagne et il publie ses rapports[8].

Deux visites mensuelles sont faites aux prisonniers de guerre par les services sanitaires de la 10Région militaire de Rennes.

En mars 1916, au cours de sa visite réglementaire, le médecin Aide Major de 2e classe Beauverger, chef de service au 116e Régiment d’Artillerie  lourde, indique que 2 soldats allemands du cantonnement de Montbelleux désirent être présentés à la Commission de deux médecins suisses et d’un médecin français (dont on leur a affiché le fonctionnement). Par contre, le 20 octobre 1916, il constate qu’il n’y a aucun prisonnier de guerre allemand  du dépôt de Montbelleux qui soit susceptible d’être présenté à la prochaine Commission de Réforme de la Suisse.

Les médecins militaires de l’armée territoriale se déplacent dans tous les campements de prisonniers de la région mais c’est surtout la mine de Montbelleux qui les accapare. C’est dans ce cantonnement que les PG sont les plus nombreux, le travail y est dur, les blessures et les accidents sont fréquents, les risques de maladies dus à la promiscuité existent.

Pendant la période 1916/1918, le docteur Beauverger veille avec ses collègues, à faire évacuer des prisonniers malades vers Coëtquidan, dont un prisonnier ayant une balle non extraite. A Montbelleux, plusieurs blessés par des chutes de blocs de minerai ou des outils sont évacués vers l’hôpital de Saint-Nicolas à Fougères ou vers Rennes.

En aout 1916, Augustin Beauverger informe sa hiérarchie que les toisièmes piqures des vaccins anti-typhoïdiques ont toutes été faites aux prisonniers allemands de Montbelleux et Châtillon.

Parfois les médecins doivent accompagner la commission itinérante franco-Suisse.

Une résistance marquante.

L’année 1918 est singulière, le premier trimestre, les rapports des médecins font souvent état de visites sans  qu’aucun malade n’ait été détecté mais à Montbelleux, dans la mine, une baisse de rendement se fait sentir. Une grève perlée coïncide avec l’offensive allemande. Dans la deuxième partie de 1918, sans doute parce que les nouvelles du front sont connues,  les prisonniers de guerre de Montbelleux commencent à mettre en place une résistance passive, ils se livrent à des actes de sabotage tel que l’enfouissement du minerai riche dans les remblais, ils se présentent massivement aux visites médicales : 14 le 8 août, aucun n’ayant une affection grave ; 10 le 3 septembre dont 2 seulement qui souffrent de dysenterie ; le 17 septembre, 13 ont été dirigés vers l’Hôpital Saint-Louis alors qu’environ 70 sont malades dans une infirmerie que le docteur Beauverger considère comme rudimentaire ; le 5 octobre, 8 « petits malades » se sont présentés.

En octobre 1918, un soldat allemand décède dans un éboulement. Dans les mêmes jours, l’incendie de la laverie par sabotage stoppera toute exploitation. 

Les prisonniers sont peu à peu évacués. L’état récapitulatif du 10 décembre 1918 rendant compte de la visite médicale bimensuelle indique 5 prisonniers de guerre à Montbelleux et 1 garde, 5 à Landéan et 1 garde, 14 à Laignelet et 3 gardes, 23 à l’étang de la Forêt en Bazouges et 6 gardes.

Un enracinement fougerais.

A la fin de la guerre, en décembre 1918, le docteur Beauverger se retirera à Châtelaudren[9] mais rapidement, il reviendra  à Fougères avec toute sa famille et exercera comme médecin généraliste, rue du Tribunal[10]. Il deviendra alors un notable apprécié pour son amabilité constante, son dévouement et son zèle auprès des fougerais et du dispensaire antituberculeux.

Article publié dans Art et Histoire Pays de Fougères - XXXIV - 2021 - Alain Planchet

[1] Journal officiel 1917/02/15. Source gallica.bnf.fr / BnF

[2] Loi du 10 août 1917 dite loi Mourier. Source gallica.bnf.fr / BnF

[3] Archives départementales 35. L’Histoire à la source- 14-18,  2-1-5- L’économie de guerre.

[4] Convention de La Haye concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre - 18 octobre 1907. Comité International de la Croix-Rouge.

[5] Rapport du 13 janvier 1915 sur les visites aux camps de prisonniers en Angleterre, en France et en Allemagne. Comité International de la Croix-Rouge.

[6] Rapport de l’ambassade des États-Unis sur la visite de son délégué au dépôt de Fougères, le 23 août 1915. Source gallica.bnf.fr / BnF

[7] Archives – Association la 3 M- Mémoire de la Mine de Montbelleux – Fonds Daniel Bouffort.

[8] Documents publiés à l’occasion de la Guerre 1914-1916- Comité International de la Croix-Rouge.

[9] Archives départementales 22. Listes nominatives Saint-Brieuc 1894, matricule  militaire 735.

[10] Archives  départementales 35. Recensement 1911- Fougères.